mardi 30 avril 2013

"Le Grand Voyage de Ramuz" par Stéphane Rochette



Le titre du livre allait de soi : Le Grand Voyage de Ramuz. Il comprend pourtant un soupçon d’ironie. L’écrivain suisse C. F. Ramuz était en effet bien peu voyageur. Il fit pourtant une exception, en réalisant, une fois dans sa vie, un « grand voyage » qui l’amena en 1926 à parcourir en Talbot, trois semaines durant, quelques endroits de France.

Ramuz ne conduisait pas. Il était donc accompagné de deux amis, Lausannois comme lui, le peintre graveur Henry Bischoff, et le journaliste écrivain Paul Budry, propriétaire de la voiture. 


Henry Bischoff, Le Joli Bois, 1914.

Le but initial de cette véritable expédition était de se rendre compte sur place de l’état de la paysannerie en France, pour en établir ensuite un compte-rendu. Avant de partir, l’écrivain suisse, célèbre entre autres pour La Grande Peur dans la montagne, et davantage encore pour l’Histoire du Soldat (avec Igor Stravinsky), entra en contact avec l’écrivain Henri Pourrat, et avec le médecin artiste Jos Jullien, qui allaient être deux de ses principaux relais au cours de ce périple. Autant dire d’emblée que cette étude de la paysannerie se dilua peu à peu au fil des étapes, et que le texte de commande, qui devait s’ensuivre, ne fut jamais écrit.

Jos Jullien, Portrait de C. F. Ramuz, 1926 (Archives départementales de l'Ardèche).


 

Du 30 mars au 18 avril 1926, des Suisses firent donc un voyage en France. Paul Budry en avait relaté les six premiers jours, dans un ouvrage intitulé Trois hommes dans une Talbot (Payot, 1928). 






Ce récit, Le Grand Voyage de Ramuz, tente de raconter, jour après jour, l’ensemble du parcours. Il s’attache aux rencontres effectuées : l’écrivain Henri Pourrat à Ambert, l’écrivain Joseph Desaymard à Clermont-Ferrand, le médecin artiste Jos Jullien à Joyeuse, le poète et éditeur Charles Forot à Saint-Félicien-en-Vivarais, le futur écrivain Jean-Marie Dunoyer à Annecy. Il s’attache aussi aux lieux visités : Ambert, Viverols, Usson, Issoire, Clermont-Ferrand, Riom, La Chaise-Dieu, Le Puy-en-Velay, Saint-Laurent-le-Minier, Joyeuse, Vallon Pont d’Arc, Nîmes, Villeneuve-lès-Avignon, Orange, Saint-Félicien-en-Vivarais, Annonay, Chambéry, Annecy… 



Jos Jullien, vers 1922.


Marcel Gimond, Portrait de Charles Forot




















L’histoire de ce voyage s’appuie sur de nombreux documents, avec, par exemple, des cartes postales rapportées par Ramuz, et dont certaines sont reproduites dans le livre. Un autre apport essentiel de l’ouvrage est la transcription du carnet tenu par Ramuz, dans lequel il indique le déroulement du voyage (Fonds Centre de recherche sur les lettres romandes, Lausanne). Cela permet de suivre au plus près les trois Suisses.

Outre ces deux sources inédites, le livre comprend une iconographie importante, qui concerne chacun des personnages principaux de cette aventure. De nombreuses œuvres des deux peintres concernés – Henry Bischoff et Jos Jullien – complètent cette partie image et documentation. 


Henry Bischoff, gravure dédicacée à Gino Severini.

Jos Jullien, Taverne ardéchoise, 1927.


Il faut dire, enfin, que Le Grand Voyage de Ramuz accompagne l’exposition Jos Jullien, médecin et artiste à la curiosité universelle, qui se tient jusqu’au 30 septembre aux Archives départementales de l’Ardèche, à Privas. Il est coédité par les Archives départementales de l’Ardèche et par l’association française Les Amis de Ramuz. Si la partie la plus importante de ce voyage fut celle qui se déroula en Auvergne, la partie inédite concerne l’Ardèche, avec Jullien et Forot, puis Annecy, avec Dunoyer. Voilà pourquoi le livre développe notamment ces moments du trajet. Jos Jullien conduisit Ramuz voir des dolmens et des grottes, le Pont d’Arc, les tunnels à Ruoms, le musée ethnographique de Nîmes, la Vierge en ivoire et en albâtre de Villeneuve-lès-Avignon, le Pigeonnier de son ami Charles Forot… Il n’oublia pas de lui montrer les caves viticoles de la Vallée du Rhône – il n’en manque pas ! – ce qui lui fera écrire peu après à l’un de ses amis, l’écrivain et homme politique Gaston Riou :



« J’étais parti en auto avec le charmant Ramuz et nous avons accompli le périple des vins du Rhône ». 

Jos Jullien, Grappes de raisin.




Mais Ramuz n’était-il pas l’un de ces êtres de bonne compagnie, doublé d’un camarade « charmant », en effet, pour que l’écrivain Jean-Marie Dunoyer écrive cette phrase définitive à son sujet :



Je ne sais pas si Ramuz a beaucoup d’amis – je lui en connais pourtant un certain nombre – mais ceux qui l’aiment se feraient tuer pour lui. 



Qu’ajouter ? Si ce n’est l’espoir de voir quelques amateurs prêts à monter en Talbot, pour faire aux côtés de Ramuz et de ses amis un beau voyage… Contact !




La maquette du livre et la couverture (Mairie d'Ambert en montgolfière) ont été composées par le photographe vidéaste – et graphiste – Bruno Wagner.

Henry Bischoff, Rameau assis, 1915.





 Pour tout renseignement s'adresser à Stéphane Rochette :






 




dimanche 21 avril 2013

Exposition Jos Jullien aux Archives départementales de l'Ardèche, à Privas (12 avril-30 septembre 2013)











Inauguration de l'exposition Jos Jullien.

 De gauche à droite : Marc Bolomey, vice-président du Conseil général, 
Corinne Porte, directrice des Archives départementales et Stéphane Rochette 
(Photo Archives départementales).

La vie va vite, au XXIe siècle. Pas le temps de faire des pauses, le nez toujours plongé dans son iPhone. Pour le meilleur ou pour le pire ? Sinon, les gens en réunion, en formation. Sans doute, pour déjouer le monde en récession.
Rien de tout cela à la galerie SR. Ni récession, ni progression, ni formation, ni réunion, mais une attention portée à quelques artistes oubliés, à la marge, et, on le pense, talentueux. Jos Jullien, par exemple, qui a provoqué le long silence de ce blog, car avec le travail concentré sur lui ces derniers mois, il ne pouvait en être autrement.

Grâce à la volonté de Corinne Porte, directrice des Archives départementales de l’Ardèche, la première exposition consacrée à Jos Jullien vient d’ouvrir, en ces mêmes archives, à Privas. Elle a pour titre : Jos Jullien, médecin et artiste à la curiosité universelle.



L’affiche montre l’homme en tenue de médecin. Il est assis dans une pièce qui lui sert de laboratoire. Le microscope est à portée de la main. L’air un peu perdu – ou un peu ailleurs –, il semble pénétré par quelque chose qui traverse son esprit, mais quoi ? Au-dessus de lui, des symboles chimiques sont disposés. A l’intérieur, inutile de scruter le cuivre, l’or ou l’étain. Ce sont les « qualités » de ce docteur au grand cœur que l’on peut lire : médecine, recherche, chirurgie, politique, préhistoire, archéologie, littérature, dessin, gravure, peinture. La liste, déjà longue, aurait pu l’être encore davantage. Alors, comment présenter tel homme Protée, tel dieu Shiva ? 

Bérénice, eau-forte, 1922 (Archives départementales de l'Ardèche).

Dans deux salles des Archives, l’exposition est conçue comme si nous allions passer 24 heures aux côtés de Jos Jullien, afin de vivre avec lui une journée particulière au cours de laquelle, à chaque heure, il changerait de spécialité pour nous montrer un nouvel aspect de sa personnalité.













Don Juan, eau-forte, 1922 (Archives départementales de l'Ardèche).



Ces 24 thèmes d’études se matérialisent par des panneaux illustrés, numérotés de 1 à 24. Ils montrent dans la première salle le Jullien médecin, chercheur, préhistorien et homme politique, en tant que maire de Joyeuse ; dans la seconde salle le Jullien artiste – notamment graveur et illustrateur –, mais aussi essayiste et poète. Tant de dons réunis en une seule et même personne font que l’on s’imagine très bien ce savant humaniste s’emparant d’un pinceau d’artiste peintre pour mélanger dans un erlenmeyer de chimiste tous les ingrédients de sa vie. Vision – ou raccourci – du créateur et du chercheur, un peu génial, un peu fou, mais qui ne font qu’un ! 











Jos Jullien dans son atelier, vers 1926.



Ces 24 panneaux s’accompagnent également de vitrines dans lesquelles on peut voir des documents qui tentent de faire revivre le médecin artiste. C’est à travers ce genre d’exposition que l’on mesure l’importance du fonds de l’éditeur et poète Charles Forot, conservé aux Archives départementales de l’Ardèche, fonds établi par Dominique Dupraz, ancien directeur de ces mêmes Archives. Sans ce fonds Forot, cet homme extraordinaire que fut Jos Jullien serait sans doute tombé dans l’oubli aujourd’hui.

L’exposition présente notamment ses portraits d’écrivains, ses illustrations Pour le Corydon de Gide ou encore Une saison en enfer, sa série des Masques, ses illustrations pour les éditions du Pigeonnier, de Forot, à Saint-Félicien-en-Vivarais, son travail sur Casanova (écrits et portrait)…











Une saison en enfer, burin, 1925 (Archives Départementales de l'Ardèche).



Dans un texte paru en 1927 dans l’Almanach Vivarois, l’homme politique et écrivain ardéchois Gaston Riou, dit de Jos Jullien qu’il était « le trait d’union des lettrés vivarois », avant d’ajouter : « Il est une sorte de chef d’état-major de notre culture. Sans lui nous nous ignorerions les uns les autres. Lettrés, écrivains, artistes, poursuivant notre carrière dans les métropoles, à l’écart du sol natal, tant de courants pourraient nous disjoindre ! C’est par la grâce de Jos Jullien que nous sommes unis : il nous a formés en faisceau. »

C’est un fait. Jos Jullien a d’ailleurs paraphrasé ainsi le poète latin Térence pour dire tout son amour du Vivarais : « Je suis Ardéchois, et rien de ce qui touche à l’Ardèche ne m’est étranger. ».











Les Bords du Chassezac, huile sur toile, vers 1910.



Jos Jullien a failli tomber dans l’oubli. L’histoire l’a rattrapé de justesse. Le but de cette exposition est de donner la dimension universelle de cet homme, pour qu’à l’avenir son nom et son œuvre s’inscrivent au moins dans le patrimoine culturel ardéchois…


Quelques œuvres de Jos Jullien présentées à l'exposition :

Illustrations pour sa thèse de médecine, L'Industrie des gants, 1902.




















 

Si l’exposition montre les différents aspects de la personnalité de Jos Jullien, elle s’attache notamment à son activité artistique.

Très jeune, Jos Jullien a, en effet, le goût du dessin et de la peinture, qu’il pratique dès ses années de lycée à Bourg-en-Bresse. Puis, parallèlement à ses études de médecine, qu’il entreprend à Lyon, il suit des cours aux Beaux-Arts de cette même ville, et continue de fréquenter son ami Jules Migonney, rencontré à Bourg-en-Bresse, et qui deviendra par la suite un peintre-graveur de renom à Paris.

En 1919, il fait la connaissance du poète et éditeur ardéchois Charles Forot, qui est sur le point de créer les éditions du Pigeonnier, à Saint-Félicien-en-Vivarais. Forot, conquis par les qualités de dessinateur et de peintre de Jullien, l’incite à faire des essais de gravure. Ce sera une idée de génie, car c’est sans doute là que les dons de Jos Jullien s’épanouiront de la manière la plus éclatante.

Sa période d’intense création, de graveur comme d’illustrateur, est limitée dans le temps. Elle court de 1919 à 1930 avec trois années particulièrement fécondes : 1924, 1925 et 1926.

Le bois gravé, l’eau-forte et le burin seront tour à tour utilisés par Jullien, qui se jouera des différentes techniques abordées.

Ses illustrations concernent les éditions du Pigeonnier de Charles Forot (vingt ouvrages), les éditions de la Cigale, à Uzès, de son autre ami éditeur, Georges Gourbeyre, ainsi que plusieurs autres revues ou publications.

Dans son travail d’artiste, Jos Jullien a abordé tous les sujets : scènes de genre, paysages, natures mortes, et portraits – dans lesquels il était particulièrement à l’aise. Les œuvres qu’il nous laisse sont à la fois fortes, originales et personnelles, souvent empreintes de l’esprit fin et cultivé qu’il avait. Aux côtés de Marcel Gimond et de Jean Chièze, il est l’un des grands artistes ardéchois de son temps. 

Sauf mention contraire, les œuvres présentées ci-dessous appartiennent aux Archives départementales de l'Ardèche (fonds Charles Forot).


Bois gravés (1920-1921)



Femme nue au bain



Paul-Jean Toulet
Paul Verlaine



Femme nue assise

Aquarelles et peintures

Le Cimetière au bord du lac, aquarelle, 1925.













Pour le tombeau d'Angelia de Montauvers (d'après Louis Pize), aquarelle.

Les Sauts de Rosières, huile sur toile, vers 1910 (collection particulière).


Illustrations

"Adieu ma Cendrine", 1926.

Les Premiers Vers, 1927.


Echouage, 1929.


Portraits

Edgar Poe, burin, 1926.

Stendhal, eau-forte, 1925.










Nietzsche, burin, 1926.



























Anna de Noailles, burin, 1924.


























Jos Jullien, médecin et artiste à la curiosité universelle

Archives départementales de l’Ardèche, Privas

12 juin-30 septembre 2013

Heures d’ouverture :

Du lundi au jeudi : de 8 h 15 à 12 h et de 13 h 15 à 17 h

Vendredi : de 8 h 15 à 12 h et de 13 h 15 à 17 h

Fermeture du 17 au 28 juin.

Commissaire de l’exposition : Stéphane Rochette

Assisté de Marie-Jo Cavalié et Bernadette Naud.

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Un ouvrage de Stéphane Rochette accompagne cette exposition : Le Grand Voyage de Ramuz, qui raconte un voyage effectué par l'écrivain suisse en France, en 1926, notamment en Auvergne chez Henri Pourrat et en Ardèche chez Jos Jullien.













En 2010, les Archives départementales de l'Ardèche ont publié du même auteur une biographie de Jos Jullien :
Jos Jullien, une vie gravée en Vivarais.





Contact : galerie.sr@gmail.com