samedi 18 octobre 2014

Le Musée de Valence gagne une étoile


Quiconque est déjà allé à Valence, en connaît un peu les « spécialités » : le lieutenant Bonaparte, la Maison des Têtes, la place Saint-Jean, la place des Clercs, le Pendentif, le parc Jouvet, le kiosque des amoureux de Peynet, les châteaux d’eau de Philolaos, la pogne Maurin et le Suisse Nivon (c’est la même maison, 17, avenue Pierre Semard, en face de la gare), et, ce qui est peut-être le plus célèbre à travers le monde : la maison Pic. Il s’agit, bien sûr, du fameux restaurant situé 285, avenue Victor Hugo, vénérable institution fondée par André Pic, poursuivie par son fils Jacques Pic, et dirigée aujourd’hui par la fille de Jacques, Anne-Sophie Pic. Chacune de ces trois générations a obtenu trois étoiles au guide Michelin, ce qui en fait là une maison unique au monde. Unique comme Pic !
 
Musée des beaux-arts et d'archéologie de Valence
 
La cathédrale Saint-Apollinaire vue du Musée de Valence
Autre lieu d’intérêt de la première ville de la Drôme, son Musée des beaux-arts et d’archéologie. Créé vers 1830, et immuablement situé place des Ormeaux, à l’ombre de la cathédrale Saint-Apollinaire, il avait besoin au début du XXIe siècle d’une rénovation, et d’une extension. Après plusieurs années de fermeture, ce grand projet, porté par la directrice du musée Hélène Moulin-Stanislas, suivi et financé par les municipalités successives de droite et de gauche, fut réalisé par un architecte au-dessus de tout soupçon, hormis de professionnalisme, Jean-Paul Philippon (celui du Musée des beaux-arts de Quimper, de La Piscine à Roubaix…). Et c’est ainsi qu’un certain vendredi 13 décembre 2013, la foule, enfin celle qui n’était pas superstitieuse, se pressa pour assister émerveillée à la renaissance du phénix.
A l’ancien bâtiment historique devenu trop étroit, et inadapté, il fallait donner davantage qu’un simple coup de pinceau. Cela a été fait avec intelligence par un architecte inspiré qui a su à merveille mélanger parties anciennes et modernes. Avec un trait de génie en plus, celui d’avoir fait entrer la ville dans le musée. Autrefois pareil lieu de culture était, la plupart du temps, une forteresse repliée sur elle-même. Imprenable. Aujourd’hui, le pont-levis est baissé, et un musée s’associe à la cité et à ses habitants, mettant en lumière bâtiments et paysages environnants. Cela devient un classique, et c’est heureux. Après le musée Jean Cocteau, à Menton, et le Mucem, à Marseille, le Musée des beaux-arts et d’archéologie de Valence joue dans ce registre de lieu que l’on visite avant tout pour ce qu’il propose à voir intra muros, mais aussi, grâce à des baies vitrées et à ses deux terrasses, pour ses points de vue tournés vers l’extérieur : la cathédrale, les toits de la ville, le Champ-de-Mars, le Rhône, les collines ardéchoises… Des sièges sont proposés pour la contemplation, la rêverie, la lecture, à l’ombre ou au soleil. Un bâtiment culturel qui donne envie de venir, et de revenir, car l’on s’y sent bien, et l’on y est bien accueilli. 

Musée de Valence - Jardin intérieur
Un cartel, affiché en plusieurs endroits, indique tout ce que l’on peut faire dans ce lieu, une sorte de « Dix commandements » (même si là, ils sont quatorze), dont ceux de s’« émerveiller », de « prendre le temps » et même d’« aimer ». Gageons que c’est au pied de la lettre que cette injonction est proclamée… Ce cartel reflète en tout cas l’état d’esprit du musée !
Pour ce qui concerne la collection, elle va de mosaïques d’avant Jésus-Christ jusqu’à l’art le plus contemporain. La section archéologique, souvent rébarbative dans ce genre d’endroit, s’imbrique ici parfaitement avec le reste des œuvres exposées. Une grande salle lumineuse, côté cathédrale, est particulièrement réussie. 
 
Mosaïque aux bucranes (détail), marbre, pâte de verre, Ier siècle av. J. C.
 
Mosaïque aux félins, pierre, terre cuite, XIIe s.
Masque à cordon de billettes, XIIe s.
Quelle bonne idée d’entrer dans un musée et de poser son premier regard sur une œuvre joyeuse ! Tel est le cas avec l’installation-sculpture monumentale et colorée, Paysage au grand galop, des deux artistes suisses Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger. Puis, du rez-de-chaussée aux étages, on chemine d’une époque à l’autre, toujours avec intérêt, voire ravissement pour qui a l’esprit curieux.
Puisqu’il faut tout voir dans ce musée généraliste (de 5 800 mètres carrés, tout de même), il n’est pas nécessaire, comme Thésée, de se munir du fil d’Ariane, même si parfois il serait bien utile dans ce dédale ! Attention ! Un virage un peu dissimulé, suivi d’un mince couloir, peut tout à coup mener vers une grande salle ! Chaque époque, chaque domaine est bien expliqué grâce à des panneaux écrits en plusieurs langues et aux titres évocateurs : « Valence, un des premiers évêchés de la chrétienté », « Artisanat urbain et ateliers ruraux », « Robert des Ruines », « Julien-Victor Veyrenc, un mystérieux donateur », « André Lhote, peintre, théoricien et professeur », « Artistes en Drôme au XXe siècle », « Voyage sans boussole »…
Dire que le musée de Valence, comme certains autres musées de province, contient « un » chef-d’œuvre incontestable et incontesté, que l’on viendrait spécialement contempler de loin, serait exagéré. C’est la qualité « moyenne » de la collection qui est justement… au-dessus de la moyenne ! C’est surtout une promenade subtile et savante qui est offerte aux visiteurs. Et, grâce à un agrandissement maitrisé, le charme et la douceur que l’on aime à retrouver dans les musées de province est intact. Une gageure.
D’une salle à l’autre, comment ne pas être séduit, ou admiratif, devant telle ou telle pièce, dont voici quelques éléments : un bel ensemble de natures mortes ; quatre grandes toiles italiennes du XVIIe siècle évoquant la vie du Christ :
 
Jésus tenté par le démon et servi par les anges (détail), Ec. italienne XVIIe s.
Un choix de peintures du XVIe au XXe siècle :
 
Alfred Stevens, Etude de femme
Une salle d’Histoire naturelle, judicieusement conservée quand d’autres musées de France ont relégué dans leurs réserves ce genre de pièces qui fascinent pourtant petits et grand :

 
Une salle André Lhote, qui vécut longtemps à Mirmande :
 
André Lhote, L'entrée du parc, 1908
Une autre de céramiques consacrée aux œuvres réalisées à Dieulefit et à Cliousclat, mais aussi à celles créées par Maurice Savin, une découverte :
 
Maurice Savin, céramique
De nombreuses œuvres d’art moderne et contemporain regroupées entre elles, mais aussi mêlées à d’autres, plus anciennes, tout au long du parcours :

Plusieurs pièces monumentales du sculpteur Etienne-Martin, Drômois d’origine, qui semblent semées ça et là comme de grands cailloux, ou des totems :
 
Etienne-Martin, Alléluia, bois peint, 1983
Une « fenêtre » de Pierre Buraglio, symbolisant l’époque où l’artiste enseigna à l’Ecole des beaux-arts de la ville :
 
Pierre Buraglio, Fenêtre, bois, verre, 1986
Un long corridor, menant à la galerie ogivale, présentant sous vitrines des pièces variées, le tout formant un cabinet de curiosités. De-ci de-là, des Joan Mitchell, Sophie Calle, Jean Le Moal, Tal Coat, Vieira da Silva, Bram van Velde, Olivier Debré… De ce dernier une œuvre de 1960, presque plus Soulages que Debré, Jardin du noir. A ce sujet, nous ne saurions trop conseiller à la ville d’acheter un ou deux autres Debré, tant cet artiste majeur de la peinture française du XXe siècle n’a pas encore la place qui lui revient. Pourquoi ne pas investir dans un paysage de Loire (laquelle prend sa source au Mont Gerbier de Jonc, c’est-à-dire en Ardèche !), ou bien dans l’une de ses peintures inspirées par l’Inde ?
Si le musée de Valence ne contient pas « un » chef-d’œuvre incontestable – quoique – il tient avant tout sa réputation grâce à son ensemble d’œuvres d’Hubert Robert, le plus important en France (devant le Louvre). Il est ici présenté dans deux salles, l’une réservée aux sanguines, l’autre aux peintures. Et, de cet artiste, communément appelé Robert des Ruines, une huile se détache, Le Pont triomphal. Cette composition, toute en théâtralité, offre une perspective lumineuse vers un pont surmonté d’un arc de triomphe majestueux. Hubert Robert montre cette vue depuis l’arche d’un autre pont, créant ainsi un passage saisissant d’un clair-obscur à la lumière. D’une rive à l’autre, des personnages semblent s’affairer à leurs occupations, sans prendre garde à la beauté irréelle des sites dans lesquels ils évoluent. Magnifique. Sans doute sommes-nous ici en présence du tableau iconique du musée (Lire à ce sujet : Hélène Moulin-Stanislas, Hubert Robert, Embarcadère pour le Musée de Valence, Fage Editions, 2014).
 
Hubert Robert, Le Pont triomphal, vers 1780-1790
Une dernière précision est à apporter. Le musée de Valence comprend une importante bibliothèque, la bibliothèque Arsène Héritier. Consacrée à l’art et à l’archéologie, et forte de plus de dix mille livres, elle est ouverte au public, ce qui est presque unique en France. Voilà un vrai cadeau fait par la ville, via son musée, aux Valentinois et aux chercheurs extérieurs.
Hélène Moulin-Stanislas et ses collaborateurs peuvent être heureux du changement d’époque qu’aura vécu leur lieu fétiche – et de travail – au début du XXIe siècle. S’il existait un guide Michelin des musées de France, comme il en existe un pour la gastronomie, nul doute que celui de Valence gagnerait une étoile et grimperait en flèche dans le classement des musées du pays (Paris et province confondus). Quand on sait combien ces étoiles sont difficiles à décrocher, on ne peut que saluer toutes celles et ceux qui ont participé à ce développement réussi. 
 
Le Rhône vu depuis le musée

 "C'est là, sur ces bords du Rhône, que l'on voit la plus admirable lumière du monde.
Jos Jullien




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