jeudi 15 novembre 2018

Meiji à Guimet, Hiroshige à la Galerie SR...

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En cette fin d’année, Paris accueille une « saison japonaise ». Beaucoup d’événements sont organisés, liés à l’art et à la culture du Japon. Pour qui est sensible au kabuki, au furoshiki, à la cérémonie du thé, aux estampes d’Hiroshige, aux laques, aux paravents, aux kimonos, aux haïkaïs, aux céramiques décorées de pivoines, d’iris, de joncs ou de démons, la saison enivre, autant que le saké – sec ou pétillant du pays.
Beaucoup d’expositions, donc, parmi lesquelles celle proposée par le musée Guimet, consacrée à l’ère Meiji. 
Meiji, qui signifie « le gouvernement éclairé », est le nom qui désigne le règne de l’empereur Mutsuhito (1852-1912). Une ère somme toute brève dans l’histoire du Japon, mais qui ouvrira le pays à la modernité, et surtout lui offrira des échanges avec l’Occident. En sens inverse, et de manière naturelle, n’est-ce pas au cours de ces années-là que l’art du Japon se répandit en France, et devint étudié, collectionné, admiré ? Les frères Goncourt, Van Gogh, Monet ou Signac montrèrent tout à coup dans leurs œuvres cette influence. Ils dirent aussi, comme tant d’autres, leur admiration pour cet art venu d’Orient.

Portrait de l'empereur Meiji, 1887, collection British Museum


L’exposition Meiji à Guimet est à voir absolument. Elle est présentée de manière parfaite. Bel éclairage, panneaux explicatifs accessibles à tous, œuvres tout aussi raffinées que rares ou spectaculaires, et variées dans le choix proposé.
Il faut saluer le travail du commissaire d’exposition, Michel Maucuer – conservateur en chef à Guimet, spécialiste du Japon – et de son équipe. Le catalogue qui accompagne Meiji est à l’image de la présentation de l’exposition. Parfait.

A la Galerie SR, évidemment, on ne tente pas de rivaliser avec Guimet ! Cependant, on propose actuellement un ensemble d’estampes japonaises du XIXe siècle. Là est tout ce que nous aimons.
On se souvient du Mont Fuji au-dessus des nuages d’Hokkei, présenté l’hiver dernier à Guimet dans une exposition d’estampes, qui avait accueilli la grande foule. A la Galerie SR, ce sont Trois aubergines, symboles de félicité, qui sont exposées. Elles sont du même Hokkei (1780-1850), qui, après avoir étudié la peinture à l’école Kano, fut un élève d’Hokusai. 

Hokkei, Trois aubergines

Du graveur d’Edo, Kunichika (1835-1900), voici une estampe faisant partie d’un triptyque. Les bras tatoués du porteur impressionnent, avec ce gros poisson rouge qui semble vouloir dévorer son visage. La qualité des bleus, sur les tissus et les objets, signe là un raffinement caractéristique de l’estampe japonaise.

Kunichika, Personnage aux bras tatoués

Avec Utamaro et Hokusai, Hiroshige (1797-1858) est sans doute l'un des artistes les plus célèbres de l'estampe japonaise. Il est notamment l'auteur des « 53 stations du Tokaido », mais aussi des « Vues célèbres d’Edo » auxquelles appartient cette estampe montrant « La fête des cerisiers sur Nakanochô à Yoshiwara ». Yoshiwara était un quartier d’Edo (aujourd’hui Tokyo), connu notamment pour ses prostituées et ses courtisanes, lieu où aimaient se perdre notamment les artistes. 

Hiroshige, La fête des cerisiers sur Nakanochô à Yoshiwara

Yoshitoshi (1839-1892) est considéré comme le dernier grand maître de l’estampe japonaise ukiyo-e. Sur cette estampe, le guerrier a disposé son chapeau noir à la manière d’un bouclier. Le contraste avec la main ensanglantée est saisissant. Hormis quelques mèches éparses, la chevelure se dresse comme une sculpture sur le crâne du combattant touché.

Yoshitoshi, Sélection des Grands Guerriers, 1868/1869

Cette dernière estampe japonaise est signée Hosai (Kuniaki II), (1835-1888). L’effigie de l’acteur Onoe Kikugoro V. enchante par la beauté du costume, le jeu de la main, le maquillage du visage, et surtout ce fond rose qui vient mettre en valeur les bleus et les noirs du sujet. Avec ce « portrait » d’Onoe Kikugoro V. on sent qu'on est là face à du grand théâtre, mais aussi à un condensé de l’ukiyo-e.

Hosai (Kuniaki II), Portrait de l'acteur Onoe Kikugoro V.





 
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vendredi 24 août 2018

Olivier Debré et Philippe Pasqua : l'art plutôt que la politique

 
Les familles concentrent, en général, des personnalités qui évoluent dans des horizons différents. Dans certaines d’entre elles, le monde politique et le monde artistique se côtoient – plus ou moins. Prenons la famille Debré. Elle a donné à la France plusieurs représentants, à commencer par Michel Debré, père de la constitution de la Ve République, et Premier ministre du général de Gaulle. Prenons aussi la famille Pasqua, avec notamment Charles Pasqua qui, après avoir fini de représenter la maison Ricard, fut un ministre marquant les années Jacques Chirac. Ce ne sont pourtant ni Michel Debré, ni Charles Pasqua qui nous intéressent ici, mais davantage Olivier Debré, frère de Michel, et Philippe Pasqua, neveu de Charles. Deux expositions les concernant permettent de mesurer leur talent, et peut-être même d’affirmer qu’au fil du temps ce seront les noms d’Olivier Debré et de Philippe Pasqua qui resteront dans les mémoires collectives, l’art dominant à tout coup la politique.

Centre de création contemporaine Olivier Debré  - Tours


En 2015, la ville de Tours eut la bonne idée de créer le CCCOD, autrement dit le Centre de création contemporaine Olivier Debré, qui succéda alors au Centre de création contemporaine de Tours. Ce dernier organisme avait déjà, du vivant de l’artiste, collaboré avec lui, le sollicitant notamment pour de très grands formats. Ce fonds Olivier Debré, assez considérable, est situé en Touraine. C’est un choix parfait quand on connaît l’œuvre de l’artiste, dont la Loire fut l’une des principales sources d’inspiration. Encore fallait-il qu’il accepte cet échange avec le centre contemporain de Tours. C’est ce qu’il fit, au-delà même de ce qui avait été envisagé au départ. 

Centre de création contemporaine Olivier Debré - Tours


Centre de création contemporaine Olivier Debré, Tours

Olivier Debré, Ocre-rose rayé d'automne, huile sur toile, 1990-1991, CCCOD, Tours






















Il faut cependant dissiper ici ce qui pourrait être un malentendu. Pour tous ceux, dont nous faisons partie, qui placent Olivier Debré (1920-1999) au plus haut dans l’art français du XXe siècle (aux côtés, par exemple, de Matisse, Bonnard, De Staël ou Hartung), il ne faut pas rechercher, en allant à Tours, un « Musée Olivier Debré ». Peu d’œuvres du peintre sont exposées à la fois, toujours sur un thème ou une période. Il s’agit bien d’un Centre de création contemporaine, qui présente donc, en permanence au rez-de-chaussée un artiste d’aujourd’hui (l’Egyptienne Ghada Amer, actuellement), et au premier étage des toiles du « Maître », présentées chaque année de manière thématique. Après l’inspiration norvégienne de l’an passé, cet été, et jusqu’au 6 janvier 2019, une série intitulée « Les Nymphéas d’Olivier Debré » s’offre au regard. Seulement six toiles sont données à voir. Immenses, elles coupent le souffle. Cette série n’entend pas faire écho à celle de Claude Monet, mais s’en rapproche par les sensations qu’elle dégage, et par la dimension des peintures : environ 3,80 de haut par plus de 9 mètres de large. Des monuments, tout comme ceux de l’Orangerie. A une heure de train de Paris, on n’hésite pas à se rendre au CCCOD…

Olivier Debré, Gris bleu, taches bleues de Loire (détail), 1990-1991, collection BEI, Luxembourg



Centre de création contemporaine Olivier Debré, Jardins François Ier, accès par la rue du Commerce. Ouvert du mardi au dimanche. Possibilité de déjeuner sur place au Café contemporain.

Les ateliers d’Olivier Debré, bref ouvrage de Patrice Debré, fils de l’artiste, procure un éclairage intéressant sur la démarche du peintre (Editions la guépine, Loches, 2018).




Dans l’Essonne, le château de Chamarande est un lieu idéal pour passer une journée à la campagne. Depuis Paris, on prend le RER C à la gare d’Austerlitz, et quarante-cinq minutes plus tard voici Chamarande, sa gare d’opérette, son village au beau clocher, son bistrot crêperie « Le Buffet », où il est agréable de déjeuner en terrasse, ses tracteurs qui passent à l’occasion, car eh oui, bien que tout près de Paris, nous sommes ici en pleine campagne. Cela se sent, d’ailleurs. 

La vie rurale, à Chamarande...


Chamarande est quand même avant tout célèbre pour son château du XVIIe, ou plutôt son immense château, tellement vaste que l’une de ses ailes abrite les Archives départementales de l’Essonne. On pense aux chercheurs qui ont là un lieu de travail propice à produire de grandes choses… On les envie. 

Château de Chamarande - Département de l'Essonne

Château de Chamarande - Essonne

Château de Chamarande - Essonne


Le Domaine de Chamarande, qui inclut le château, appartient au département de l’Essonne. Il contient un parc de 98 hectares, le plus grand jardin public du département. Heureux les villageois et les habitants des environs qui peuvent, tous les jours de l’année, profiter gratuitement de ce lieu ouvert au public. Heureux tous ceux qui peuvent aussi venir y passer « un dimanche à la campagne ».


Peinture de Philippe Pasqua dans le château de Chamarande


Pour mieux faire connaître ce lieu majestueux, le département a choisi d’en faire un site culturel. Les grands salons, à l’intérieur du château, tout comme le parc, se prêtent aux expositions, mais à condition de présenter des artistes qui ont du souffle ! Cela tombe bien, Philippe Pasqua n’en manque pas.
Né à Grasse en 1965, Philippe Pasqua est un artiste contemporain. Son travail impressionne par la force qu’il dégage ainsi que par la dimension de ses œuvres, qu’il s’agisse de toiles, de sculptures ou d’installations. Jusqu’au 31 décembre 2018, le château de Chamarande présente dans ses murs, comme dans son parc, quelques-unes de ses œuvres réunies sous le titre "Allegoria". A l’intérieur, des toiles monumentales, peintes à l’huile ou dans des techniques mixtes, ont notamment pour thème sa famille. Des sculptures et des installations complètent cet ensemble comme ce saisissant « Chant des méduses », œuvre réalisée en verre, qu’il faut voir en entier, et dont voici un détail.


Philippe Pasqua, Le Chant des méduses (détail), 2016, collection The Storage


Dans le parc quatre œuvres monumentales sont aussi exposées. « Face off », œuvre en bronze, mérite de tourner plusieurs fois autour pour en découvrir sa richesse de détails. Mais bien sûr la très spectaculaire sculpture en inox « Who should be scared ? », parfaitement présentée au fond de l’allée d’honneur du parc, attire tous les regards. 


Philippe Pasqua, Who should be scared, 2016, collection Christophe Février


Un mégalodon, autrement dit un requin préhistorique, semble avoir été capturé. Pendu par la queue, il montre encore les dents pour montrer qu’il n’est pas totalement abattu. Quel prédateur a eu sa peau ? Telle est l’une des questions que l’artiste pose dans cette œuvre qui reste dans les mémoires, pas seulement pour son gigantisme. A quarante-cinq minutes de train de Paris, on n’hésite pas à se rendre à Chamarande…

Château de Chamarande - Essonne

Château de Chamarande - Essonne


Domaine de Chamarande : RER C gare d’Austerlitz, direction Saint-Martin d’Etampes, arrêt Chamarande.

Dans ce duo politico-artistique, nous aurions pu aussi évoquer Eva Jospin, fille de Lionel Jospin. Elle présente en ce moment, jusqu’au 14 octobre 2018, ses grandes forêts, réalisées en carton, dans le splendide château de Trévarez, en Bretagne. Nous aurions pu enfin parler du peintre des vies silencieuses Xavier Valls, père de Manuel Valls.
Oui, décidément, rangeons-nous du côté de l’art plutôt que de celui de la politique.



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vendredi 20 avril 2018

Une première ? "Jos Jullien à Charles Forot, lettres d'un illustrateur à son éditeur"

 
Cet ouvrage, sur lequel nous avons longuement travaillé, vient de paraître. Il mêle, comme nous l’aimons, art et littérature, et s’intitule :

Jos Jullien à Charles Forot, lettres d’un illustrateur à son éditeur (1920-1932).

Ce livre, de 380 pages, est édité par les Archives départementales de l’Ardèche.
Prix de vente : 20 € + frais de port.
Tél. des Archives : 04 75 66 98 00.



La correspondance est un genre littéraire en soi. Dans ce genre, bien particulier, qui a ses amateurs, ses festivals, même, l’édition de ces lettres semble être une première.
Souvent ont été publiées des lettres échangées entre artistes, entre peintres et marchands, entre peintres et critiques d’art, mais jamais, à notre connaissance, entre un illustrateur et son éditeur.

            Médecin et artiste, Jos Jullien (1877-1956) est né à Tournon. Il vécut la majeure partie de sa vie à Joyeuse, dans le sud du Vivarais.

Jos Jullien, vers 1935


            Editeur et poète, Charles Forot (1890-1973) est né à Saint-Félicien. Il créa chez lui, dans cette partie nord du Vivarais, la maison d’édition « Au Pigeonnier ».

Charles Forot, vers 1918


            A partir de 1920, une importante correspondance s’échangea entre les deux hommes, qui prit fin à la mort de Jos Jullien. Pour cette publication, la période retenue, 1920-1932, correspond aux années pendant lesquelles Jos Jullien déploya, à côté de son métier de médecin de campagne, une grande activité artistique et littéraire.



Dans la première moitié du XXe siècle, beaucoup d’éditeurs firent le choix du livre illustré, à tirages limités ou non. La plupart des grands artistes de l’époque étaient sollicités par ces éditeurs, souvent parisiens : Derain, Dufy, Foujita, Bonnard, Van Dongen, Rouault, Dali, Matisse, Picasso… Tant d’autres. Aujourd’hui, ces livres sont avant tout recherchés pour la renommée de leurs illustrateurs.

Jos Jullien à Charles Forot, signet du livre (recto)

Jos Jullien à Charles Forot, signet du livre (verso)

Charles Forot se spécialisa lui aussi, mais en province – chez lui, en Ardèche – dans la publication de livres illustrés. Ce poète, amateur d’art, s’entoura de bons artistes, comme Rose Seguin Bechetoille, Adrien Mitton, Ludovic Rodo, Léon Schulz, Philippe Burnot, Jean Chièze… sans oublier Jos Jullien qui décora vingt livres aux éditions du Pigeonnier (cf. le site « Rhône estampes »).

Jos Jullien, illustration pour Pages lyriques, de Gabriel Faure, 1925


Tout au long de cette correspondance, on suit le parcours artistique du médecin de Joyeuse. Son goût pour le dessin, mais aussi, en 1920, pour le bois gravé. Peu à peu, sur les conseils de Charles Forot, mentor en ce domaine, Jos Jullien va pratiquer l’eau-forte, puis le burin. Doué, l’artiste se jouera aisément, et en autodidacte, de ces différentes techniques.

Jos Jullien, Dr Faust, eau-forte, 1922


En tant qu’illustrateur, Jos Jullien dessine des lettrines, des scènes de genre, mais aussi des portraits, sujet qui l’intéresse entre tous. « Appliquons-nous à construire la figure humaine », est alors son credo. Il réalisera notamment une série de personnages de comédie et de tragédie (Faust, Sganarelle, Bérénice, Don Juan…)


Jos Jullien, Portrait de Gabriel Faure, burin, 1925

Il fera de nombreux portraits d’écrivains, à commencer par les deux auteurs qu’il admire le plus : Stendhal et Casanova. Mais aussi Edgar Poe, Anna de Noailles, C. F. Ramuz, Léon Bloy… Pour les éditions de Charles Forot, il dessinera un portrait de l'écrivain originaire de Tournon, Gabriel Faure, un de Tristan Derème, et plusieurs de Paul Valéry, avec lequel il entretiendra une petite correspondance.













 Charles Forot lui commanda également le portrait de deux poètes nés à Valence, que le poète éditeur eut sans doute l’occasion de connaître, et qui scellèrent en partie sa vocation : le symboliste Louis Le Cardonnel, et le fantaisiste Jean-Marc Bernard.

Jos Jullien, Portrait de Jean-Marc Bernard, sanguine, 1921


Beaucoup de réussites bibliophiliques marquèrent cette collaboration entre Jos Jullien et Charles Forot. Parmi elles, on peut citer Viviers, d’André Hallays, Pages lyriques, de Gabriel Faure, Six chansons anciennes du Vivarais, de Vincent d’Indy, Les Guerres d’enfer et l’avenir de l’intelligence, de Pierre Benoit, A boire et à manger, de Léon Daudet, Paul Valéry, de René Fernandat…

Jos Jullien et André Hallays, Viviers, Au Pigeonnier, 1926

Mais il y eut aussi, entre les deux hommes, des projets qui n’aboutirent pas : dessins pour illustrer une « Mme de Larnage », de Jean-Jacques Rousseau, six burins pour « Une saison en enfer », de Rimbaud, suite de burins pour illustrer Corydon, d'André Gide…

Jos Jullien, illustration pour Corydon, d'André Gide, burin, 1924

Les 340 lettres de Jos Jullien réunies dans cet ouvrage permettent de suivre treize années de vie. Le travail d’un illustrateur au service de son ami éditeur constitue l’intérêt premier de ces échanges. Mais bien d’autres éléments apparaissent, qui définissent Jos Jullien : son métier de médecin de campagne, son goût pour la préhistoire et l’archéologie (avec les premières fouilles qu’il initie à Alba), son intérêt pour la bibliophilie, ses lectures (Stendhal, Casanova, Morand, Gide, Suarès…), ses lieux de villégiature, avec son épouse Camille (souvent au bord de la Méditerranée), ses relations et amis, enfin quelque révélation sur sa vie privée – pas le moins surprenant du livre…

Lettre de Jos Jullien à Charles Forot, 15 août 1925


Deux faits marquants, et un peu à part, symbolisent aussi cette amitié. Le voyage en France de Ramuz, en avril 1926, qui verra l’écrivain suisse se rendre à Joyeuse, chez Jos Jullien, puis, en compagnie du médecin artiste, à Saint-Félicien, chez Charles Forot. Et la publication, en 1927, du livre-hommage à Forot, initié par Jos Jullien, et réalisé avec l’aide de Philippe Burnot : A Charles Forot, au Pigeonnier. L’ouvrage aura été composé secrètement par l’ensemble des amis écrivains et artistes amis de l’éditeur, et offert par Jullien à Forot le 7 août 1927, date apogée de cette amitié.

Dans ses lettres, Jos Jullien montre sa bonne formation en lettres classiques, qui lui permet d’utiliser à l’envi des citations grecques ou latines. Il montre aussi son tempérament, celui d’un optimiste qui va de l’avant, avec la joie au cœur. « Tenez-vous en joie », mais aussi « Soyez toujours gai et entrain » sont quelques-unes des formules qu’il affectionne. Et puis, transparaît tout un côté hédoniste chez Jos Jullien, avec un goût prononcé pour le soleil qui, lorsqu’il fait beau, lui inspire cette expression très imagée : « Le soleil rit. »

Provenant du fonds Forot, si riche, conservé aux Archives départementales de l’Ardèche, le livre comprend également la reproduction de documents inédits, comme une lettre de Maurice Denis, et une autre de Paul Valéry.

Lire une correspondance, c’est surprendre une conversation, parfois très personnelle, et suivre, un peu par effraction, les liens d’amitié qui naissent, se renforcent, mais aussi parfois se distendent entre deux êtres.
Lire une correspondance, c’est suivre deux inconnus en voyage, et partager avec eux leurs conquêtes comme leurs échecs, leurs espoirs comme leurs fragilités. A la fin du voyage, si la compagnie a été bonne, on est toujours triste de devoir se séparer.

Jos Jullien, illustration pour Pages lyriques, de Gabriel Faure, 1925


La presse régionale a relayé cette publication. Le journaliste Gilbert Jean signale « le long compagnonnage intellectuel et artistique de Jos Jullien et Charles Forot, et une longue amitié jamais déçue » (Le Dauphiné Libéré, 2 avril 2018), tandis que le chroniqueur Pierre Vallier évoque « un imposant volume vient de paraître aux Archives de l’Ardèche (380 pages), un trésor intellectuel pour le Vivarais, qui souligne utilement le vif talent de l’un et de l’autre » (Le Dauphiné Libéré, 18 mars 2018).

            Au-delà des « cas » Jullien et Forot, cette publication a pour ambition de faire un état des arts et des lettres en Vivarais au cours de la première moitié du XXe siècle. Un « Répertoire des noms », en fin de volume, permet de mieux situer écrivains et artistes, notamment Ardéchois, de ce temps-là. Aussi, « trésor intellectuel pour le Vivarais » est peut-être un peu fort, mais nous apprécions la formule…

Jos Jullien, illustration pour Pages lyriques, de Gabriel Faure, 1925


            « La vie est courte et belle. Pourquoi la gâter. » Faisons nôtre cette pensée de Jos Jullien, qui reflète bien le « voyage » que nous faisons en lisant ces lettres d’un illustrateur à son éditeur. 


 
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lundi 12 février 2018

Le poète Jacques Doucet, qui nous a enchanté...

 
L'écrivain Jacques Doucet (1922-2018)

Nous avions l’habitude de le retrouver chez lui, à La Baule, dans son appartement de l’avenue du Maréchal Joffre. Il habitait à la fois près de la gare, du grand marché couvert, de l’avenue principale, qui porte le nom du général de Gaulle, mais aussi d’un hôtel où il est agréable de descendre quand on est tenté par quelques jours de vacances. Il vivait également non loin du remblai et de cette baie immense qu’il ne cessa d’admirer. Car il était fait pour admirer, et pour s’émerveiller. En cela, il était l’incarnation même du poète. 

La plage de La Baule

La presse régionale (La Baule +, Ouest-France, Presse Océan) l’a évoqué. L’écrivain Jacques Doucet s’est éteint le 8 janvier 2018 à Guérande, où il repose. Né le 7 février 1922 à Vierzon, dans le Cher, il avait 95 ans. Hormis les dix derniers jours de sa vie, il vécut, plutôt en bonne santé, dans son deux pièces ensoleillé. Même si de rares amis, ou voisins, venaient lui rendre visite, il avait un tempérament solitaire, et un caractère heureux.
Le nom Jacques Doucet peut susciter la confusion, davantage que la rivalité. On pense au couturier-mécène. On pense au peintre du mouvement Cobra. Lui, celui que nous connaissions, c’était le poète, c’était l’essayiste, c’était ce merveilleux auteur de rares livres, précieux dans une bibliothèque ou sur une table de chevet.
Jacques Doucet, La Vue seconde, "Alcarazas", Seghers, 1950

Son entrée en littérature fut remarquée, avec notamment deux recueils de poésie soutenus par la critique : Lustrales (Portes de France, Prix Paul-Valéry 1945) et La Vue seconde (Seghers, 1950). Au cours de cette période de l’après-guerre, il publia aussi des poèmes dans des revues, qui comptaient alors, comme Poésie 45, L’éternelle revue, Les Cahiers du Sud, Europe, Le Point… Il se définissait comme un poète lyrique, qui aurait aimé vivre au temps des poètes fantaisistes (Jean-Marc Bernard, Francis Carco, Tristan Derème, Paul-Jean Toulet…), pour faire partie de ce groupe. 

Jacques Doucet, La Vue seconde, "Chanson de l'eau qui court", Seghers, 1950

Jusque dans les années 1970, Jacques Doucet fréquenta à Paris quelques-uns des écrivains et poètes les plus importants de cette époque, à commencer par Aragon et Eluard, qu’il place au plus haut, mais aussi Marcel Arland, Pierre Seghers, Claude Roy… Ces rencontres lui inspireront un ouvrage, intitulé Croquis lyriques (Alizés, 2001), grâce auquel il fait pénétrer le lecteur dans l’intimité de ces êtres admirés – compagnons de son existence. Des recherches importantes le conduiront à publier aussi un essai très documenté, intitulé Apollinaire à La Baule (Alizés, 2000), livre salué notamment par Michel Déon. S’en suivra un Marie de Régnier à La Baule (Sokrys, 2012).

Jacques Doucet, Apollinaire à La Baule, Alizés, 2000
Jacques Doucet, Marie de Régnier à La Baule, Sokrys, 2012

Toute sa vie, Jacques Doucet vécut modestement. A Paris, il exerça divers métiers qui ne correspondaient pas à ses aspirations profondes. Lorsqu’il s’installa à La Baule, en 1989, et malgré une maigre retraite, il goûta pleinement sa nouvelle vie en province. Le choix de La Baule fut pour lui une évidence. Il avait fréquenté le lieu avec ses parents et ses deux sœurs dès sa plus tendre enfance, avant d’y séjourner chaque année en vacances. Il pouvait désormais y vivre pleinement. Il aimait à l’infini se promener à pied, tantôt côté océan, tantôt côté pins, parmi les myriades de villas, qu’il admirait. 

Villa dans la pinède de La Baule

Dans sa vie bauloise, bien organisée, Jacques Doucet consacra, jusqu’à la fin de ses jours, une partie de son temps à l’écriture. Cela se passait le matin. De nouveaux textes apparaissaient, tous autobiographiques. D’autres essais, sur son enfance et sa jeunesse dans le Berry, ou sur son « amour » pour La Baule, étaient travaillés et retravaillés à l’infini. Une manière parfaite de revivre sans cesse quelques-uns des moments heureux de sa vie. Il composa aussi quelques « portraits ». L’un sur son ami Henri Pichette – qui lui fit connaître Gérard Philipe. L’autre sur son amie Denise Jallais, née à Saint-Nazaire, qu’il avait été le premier à encourager, remarquant d’emblée son talent de poétesse et d’écrivain. Il ne s’était pas trompé.

Jacques Doucet, La Vue seconde, Seghers, 1950
Denise Jallais, L'arbre et la terre, Seghers, 1954

Tout en aimant profondément la vie, Jacques Doucet, dans son appartement de l’avenue du Maréchal Joffre, vivait un peu hors du temps. Son monde, clos, était avant tout constitué des livres de sa bibliothèque – dont certains avec envois prestigieux –, des correspondances échangées avec ses pairs écrivains, des dossiers littéraires patiemment assemblés sur ses auteurs préférés, enfin de ses propres écrits, dont beaucoup sont restés inédits. Il pouvait parler, des heures durant, littérature. 

L'écrivain Jacques Doucet chez lui, à La Baule, 2017

Après consultation de ses archives, chez lui, à La Baule, la Bibliothèque nationale de France estima qu’il était possible de préserver en partie ce monde, en constituant un « Fonds Jacques Doucet ». Peu avant sa mort, le poète accepta cette idée, car il savait l’honneur qui lui était fait. A présent, le site « Richelieu » de la Bibliothèque nationale conserve un « Fonds Jacques Doucet ». Il est consultable sur demande. Comme une consécration pour ce poète-ami qui dédia sa vie à la littérature. 

La plage de La Baule



 
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