vendredi 20 avril 2018

Une première ? "Jos Jullien à Charles Forot, lettres d'un illustrateur à son éditeur"

 
Cet ouvrage, sur lequel nous avons longuement travaillé, vient de paraître. Il mêle, comme nous l’aimons, art et littérature, et s’intitule :

Jos Jullien à Charles Forot, lettres d’un illustrateur à son éditeur (1920-1932).

Ce livre, de 380 pages, est édité par les Archives départementales de l’Ardèche.
Prix de vente : 20 € + frais de port.
Tél. des Archives : 04 75 66 98 00.



La correspondance est un genre littéraire en soi. Dans ce genre, bien particulier, qui a ses amateurs, ses festivals, même, l’édition de ces lettres semble être une première.
Souvent ont été publiées des lettres échangées entre artistes, entre peintres et marchands, entre peintres et critiques d’art, mais jamais, à notre connaissance, entre un illustrateur et son éditeur.

            Médecin et artiste, Jos Jullien (1877-1956) est né à Tournon. Il vécut la majeure partie de sa vie à Joyeuse, dans le sud du Vivarais.

Jos Jullien, vers 1935


            Editeur et poète, Charles Forot (1890-1973) est né à Saint-Félicien. Il créa chez lui, dans cette partie nord du Vivarais, la maison d’édition « Au Pigeonnier ».

Charles Forot, vers 1918


            A partir de 1920, une importante correspondance s’échangea entre les deux hommes, qui prit fin à la mort de Jos Jullien. Pour cette publication, la période retenue, 1920-1932, correspond aux années pendant lesquelles Jos Jullien déploya, à côté de son métier de médecin de campagne, une grande activité artistique et littéraire.



Dans la première moitié du XXe siècle, beaucoup d’éditeurs firent le choix du livre illustré, à tirages limités ou non. La plupart des grands artistes de l’époque étaient sollicités par ces éditeurs, souvent parisiens : Derain, Dufy, Foujita, Bonnard, Van Dongen, Rouault, Dali, Matisse, Picasso… Tant d’autres. Aujourd’hui, ces livres sont avant tout recherchés pour la renommée de leurs illustrateurs.

Jos Jullien à Charles Forot, signet du livre (recto)

Jos Jullien à Charles Forot, signet du livre (verso)

Charles Forot se spécialisa lui aussi, mais en province – chez lui, en Ardèche – dans la publication de livres illustrés. Ce poète, amateur d’art, s’entoura de bons artistes, comme Rose Seguin Bechetoille, Adrien Mitton, Ludovic Rodo, Léon Schulz, Philippe Burnot, Jean Chièze… sans oublier Jos Jullien qui décora vingt livres aux éditions du Pigeonnier (cf. le site « Rhône estampes »).

Jos Jullien, illustration pour Pages lyriques, de Gabriel Faure, 1925


Tout au long de cette correspondance, on suit le parcours artistique du médecin de Joyeuse. Son goût pour le dessin, mais aussi, en 1920, pour le bois gravé. Peu à peu, sur les conseils de Charles Forot, mentor en ce domaine, Jos Jullien va pratiquer l’eau-forte, puis le burin. Doué, l’artiste se jouera aisément, et en autodidacte, de ces différentes techniques.

Jos Jullien, Dr Faust, eau-forte, 1922


En tant qu’illustrateur, Jos Jullien dessine des lettrines, des scènes de genre, mais aussi des portraits, sujet qui l’intéresse entre tous. « Appliquons-nous à construire la figure humaine », est alors son credo. Il réalisera notamment une série de personnages de comédie et de tragédie (Faust, Sganarelle, Bérénice, Don Juan…)


Jos Jullien, Portrait de Gabriel Faure, burin, 1925

Il fera de nombreux portraits d’écrivains, à commencer par les deux auteurs qu’il admire le plus : Stendhal et Casanova. Mais aussi Edgar Poe, Anna de Noailles, C. F. Ramuz, Léon Bloy… Pour les éditions de Charles Forot, il dessinera un portrait de l'écrivain originaire de Tournon, Gabriel Faure, un de Tristan Derème, et plusieurs de Paul Valéry, avec lequel il entretiendra une petite correspondance.













 Charles Forot lui commanda également le portrait de deux poètes nés à Valence, que le poète éditeur eut sans doute l’occasion de connaître, et qui scellèrent en partie sa vocation : le symboliste Louis Le Cardonnel, et le fantaisiste Jean-Marc Bernard.

Jos Jullien, Portrait de Jean-Marc Bernard, sanguine, 1921


Beaucoup de réussites bibliophiliques marquèrent cette collaboration entre Jos Jullien et Charles Forot. Parmi elles, on peut citer Viviers, d’André Hallays, Pages lyriques, de Gabriel Faure, Six chansons anciennes du Vivarais, de Vincent d’Indy, Les Guerres d’enfer et l’avenir de l’intelligence, de Pierre Benoit, A boire et à manger, de Léon Daudet, Paul Valéry, de René Fernandat…

Jos Jullien et André Hallays, Viviers, Au Pigeonnier, 1926

Mais il y eut aussi, entre les deux hommes, des projets qui n’aboutirent pas : dessins pour illustrer une « Mme de Larnage », de Jean-Jacques Rousseau, six burins pour « Une saison en enfer », de Rimbaud, suite de burins pour illustrer Corydon, d'André Gide…

Jos Jullien, illustration pour Corydon, d'André Gide, burin, 1924

Les 340 lettres de Jos Jullien réunies dans cet ouvrage permettent de suivre treize années de vie. Le travail d’un illustrateur au service de son ami éditeur constitue l’intérêt premier de ces échanges. Mais bien d’autres éléments apparaissent, qui définissent Jos Jullien : son métier de médecin de campagne, son goût pour la préhistoire et l’archéologie (avec les premières fouilles qu’il initie à Alba), son intérêt pour la bibliophilie, ses lectures (Stendhal, Casanova, Morand, Gide, Suarès…), ses lieux de villégiature, avec son épouse Camille (souvent au bord de la Méditerranée), ses relations et amis, enfin quelque révélation sur sa vie privée – pas le moins surprenant du livre…

Lettre de Jos Jullien à Charles Forot, 15 août 1925


Deux faits marquants, et un peu à part, symbolisent aussi cette amitié. Le voyage en France de Ramuz, en avril 1926, qui verra l’écrivain suisse se rendre à Joyeuse, chez Jos Jullien, puis, en compagnie du médecin artiste, à Saint-Félicien, chez Charles Forot. Et la publication, en 1927, du livre-hommage à Forot, initié par Jos Jullien, et réalisé avec l’aide de Philippe Burnot : A Charles Forot, au Pigeonnier. L’ouvrage aura été composé secrètement par l’ensemble des amis écrivains et artistes amis de l’éditeur, et offert par Jullien à Forot le 7 août 1927, date apogée de cette amitié.

Dans ses lettres, Jos Jullien montre sa bonne formation en lettres classiques, qui lui permet d’utiliser à l’envi des citations grecques ou latines. Il montre aussi son tempérament, celui d’un optimiste qui va de l’avant, avec la joie au cœur. « Tenez-vous en joie », mais aussi « Soyez toujours gai et entrain » sont quelques-unes des formules qu’il affectionne. Et puis, transparaît tout un côté hédoniste chez Jos Jullien, avec un goût prononcé pour le soleil qui, lorsqu’il fait beau, lui inspire cette expression très imagée : « Le soleil rit. »

Provenant du fonds Forot, si riche, conservé aux Archives départementales de l’Ardèche, le livre comprend également la reproduction de documents inédits, comme une lettre de Maurice Denis, et une autre de Paul Valéry.

Lire une correspondance, c’est surprendre une conversation, parfois très personnelle, et suivre, un peu par effraction, les liens d’amitié qui naissent, se renforcent, mais aussi parfois se distendent entre deux êtres.
Lire une correspondance, c’est suivre deux inconnus en voyage, et partager avec eux leurs conquêtes comme leurs échecs, leurs espoirs comme leurs fragilités. A la fin du voyage, si la compagnie a été bonne, on est toujours triste de devoir se séparer.

Jos Jullien, illustration pour Pages lyriques, de Gabriel Faure, 1925


La presse régionale a relayé cette publication. Le journaliste Gilbert Jean signale « le long compagnonnage intellectuel et artistique de Jos Jullien et Charles Forot, et une longue amitié jamais déçue » (Le Dauphiné Libéré, 2 avril 2018), tandis que le chroniqueur Pierre Vallier évoque « un imposant volume vient de paraître aux Archives de l’Ardèche (380 pages), un trésor intellectuel pour le Vivarais, qui souligne utilement le vif talent de l’un et de l’autre » (Le Dauphiné Libéré, 18 mars 2018).

            Au-delà des « cas » Jullien et Forot, cette publication a pour ambition de faire un état des arts et des lettres en Vivarais au cours de la première moitié du XXe siècle. Un « Répertoire des noms », en fin de volume, permet de mieux situer écrivains et artistes, notamment Ardéchois, de ce temps-là. Aussi, « trésor intellectuel pour le Vivarais » est peut-être un peu fort, mais nous apprécions la formule…

Jos Jullien, illustration pour Pages lyriques, de Gabriel Faure, 1925


            « La vie est courte et belle. Pourquoi la gâter. » Faisons nôtre cette pensée de Jos Jullien, qui reflète bien le « voyage » que nous faisons en lisant ces lettres d’un illustrateur à son éditeur. 


 
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